Le vendredi 4 avril s’est déroulée à Sciences Po Grenoble-UGA une demi-journée d’étude sur la Syrie et ses nouvelles dynamiques politiques et territoriales depuis la chute de Bachar Al-Assad le 8 décembre 2024. Les étudiants du Master Intégration et Mutations en Méditerranée et au Moyen-Orient (MMO), ainsi que cinq de leurs professeurs, étaient au cœur du déroulement de cette journée. Les intervenants ont livré de passionnantes explications sur différents sujets, en apportant leurs propres spécialisations à leurs arguments.
La nouvelle géopolitique de la Syrie - Jean Marcou
La Turquie, à sa frontière sud, est concernée par la crise syrienne : c’est le pays d’accueil de près de quatre millions de réfugiés syriens fuyant la guerre civile, dont certains envisagent de revenir depuis le 8 décembre 2024. Cette date marque un renversement spectaculaire, douze jours de “révolution magnifique” selon Erdoğan, transformant profondément la géopolitique de la région. En suivant ce bouleversement depuis l’actualité turque, on comprend que le régime de Bachar Al-Assad était faible, malgré son image de vainqueur de la guerre civile. Les rebelles comme les Turcs ont perçu cette vulnérabilité comme une véritable fenêtre d’opportunité. Ce retournement géopolitique, en appliquant l’histoire à cette séquence, s’explique en quatre phases, selon Jean Marcou. La première est la guerre froide et ses héritages, lorsque la Syrie a construit des alliances régionales consolidant ses propres intérêts et revendications. À l'arrivée de Hafez Al-Assad au pouvoir, les relations syro-soviétiques se sont intensifiées ; c’est aussi le cas de celles syro-iraniennes, à la suite de la Révolution islamique de 1979. Puis, dans les années 80, Damas est intervenu lors de la guerre civile libanaise, dans le cadre de la consolidation d’un front de fermeté contre la normalisation des relations avec Israël. Concernant la Turquie, les relations bilatérales syro-turques étaient complexes, notamment alimentées par la problématique du PKK kurde.
Ensuite, une autre phase s’inscrit dans la période postbipolaire, synonyme d’espoirs d’ouverture à de plus vastes alliances internationales. Il est vrai que les conséquences de la disparition de l’URSS ont impacté significativement l'État baathiste. Toutefois, la succession de Bachar Al-Assad au pouvoir lance une nouvelle ouverture du pays : par exemple, sous Chirac, les relations franco-syriennes se solidifient. De plus, on aperçoit une amélioration significative des relations syro-turques, la Turquie promouvant sa politique de “zéro problème avec nos voisins”. Une coopération stratégique régulière se consolide, témoignant d’une alliance qui porte ses fruits. Pourtant, les soulèvements de 2011 ont transformé ces liens, on assiste à un effondrement de la convergence syro-turque. Ce qui fait écho à la troisième phase expliquant la chute du régime de la dynastie Assad selon Marcou, soit la géopolitique de la guerre civile. L’été 2011 marque la rupture avec Ankara, ainsi que d’autres alliances tant occidentales qu’arabes. C’est la Russie qui renoue des liens avec Damas dès 2013, et soutient diplomatiquement, financièrement et militairement Bachar Al-Assad. L’intervention russe sauvera la Syrie d’une certaine façon, selon Jean Marcou, accompagnée d’un soutien de l’Iran et du Hezbollah. À partir de 2018, de nouvelles normalisations diplomatiques menées par Al-Assad répandent l’idée que le régime baathiste sort vainqueur de la guerre civile. Cette situation de banalisation du pouvoir autoritaire a été bouleversée par l’offensive de HTS en décembre 2024, objet de la dernière phase d’analyse. Ce sont effectivement des réalités géopolitiques qui ont engendré une baisse accrue de soutien à la Syrie (guerre en Ukraine pour la Russie, événements du 7 octobre 2023 pour l’Iran et le Hezbollah), rendant le dirigeant syrien et son régime vulnérables. Ces affaiblissements d’alliances lui assurant une protection ont permis à la Turquie de se présenter en position de force : soutien aux rebelles dans l’enclave d’Idlib et à l’Armée nationale syrienne, résultant en une nouvelle politique étrangère turque nouant des liens avec des acteurs non étatiques dans des zones frontalières. Ainsi, les relations HTS-Turquie se sont construites pendant la guerre civile, expliquant la diplomatie turque quant au nouveau régime syrien. L’Arabie saoudite est également un acteur important de ce retournement syrien : Ahmed Al-Charaa s’est rendu à Riyad pour son premier voyage diplomatique. Jean Marcou nous invite à suivre le positionnement de l’Union européenne face à ce nouveau régime syrien, étant donné la levée graduelle des sanctions à l’encontre de la Syrie sous Bachar Al-Assad. Par exemple, la France n’a pas fermé la porte au nouveau dirigeant syrien, mais reste sur ses gardes. Également, quid des États-Unis et du devenir incertain des Kurdes du Rojava, le Kurdistan syrien ? Toujours est-il que nous assistons à un avènement d’une rivalité turco-israélienne en Syrie, le pays devenant un théâtre de la mésentente entre Ankara et Tel-Aviv. De multiples présences extérieures sont impliquées en Syrie, sa nouvelle géopolitique dépendra donc de l’évolution de la situation intérieure du pays.
Société syrienne et minorités - Imad Khillo
La société syrienne comporte une multitude de minorités, dont Imad Khillo a fait le choix d’en présenter trois : les Alaouites, les Chrétiens et les Druzes. Toutefois, il semble d’abord essentiel de saisir comment la question des minorités est au cœur des stratégies autoritaires des régimes Al-Assad, en se concentrant sur trois grandes caractéristiques du régime baathiste. En premier lieu, les régimes Assad se distinguent par leur répression, et l’encadrement de la vie politique à travers le monopole du parti Baas. Ceci est accompagné d’un climat de terreur assuré par un appareil sécuritaire redoutable, contrôlant les citoyens et les hiérarchisant. Puis, la dernière caractéristique est la privatisation familiale, qui renforce les inégalités et concentre l’économie dans les mains de la famille Assad. À son arrivée au pouvoir, Bachar Al-Assad intensifie ce système, spécialement en 2001 avec la création de l’Organisation du Développement de la Syrie, créée par la femme du dirigeant syrien, Asma Al-Assad. Cette ONG absorbe l’ensemble de l’aide humanitaire en Syrie et est devenue un véritable outil de contrôle de la famille Assad.
En tout état de cause, l’arrivée au pouvoir de Hafez Al-Assad avec son “mouvement de redressement” a rendu la question des identités centrale : il impose l’identité nationale à dominante militaire et arabiste. Selon Imad Khillo, les dirigeants baathistes ont manipulé les identités confessionnelles syriennes. Il l’explique à travers la présentation de trois minorités. Premièrement, les Alaouites. C’est un courant de l’islam chiite né au IVe siècle en Irak. Les notions fondamentales de ce groupe religieux sont : la réincarnation, l’âme passe d’un corps à l’autre (métempsychose) ; le fait qu’un sens caché du Coran existerait ; l’interprétation spécifique des obligations religieuses ; il n’y a pas de prosélytisme, être alaouite est héréditaire. Cette doctrine se développe au Xe siècle en Syrie, en passant par les montagnes alaouites, où les croyants s’attribuent ce nom. Historiquement, cette minorité religieuse est une des plus persécutées pendant la période ottomane, des fatwas existaient la condamnant. Un débat sur leur nature musulmane a longtemps eu lieu, jusqu’en 1936, lorsque le mufti Al-Azhar a émis une fatwa reconnaissant les Alaouites comme des musulmans, à condition qu’ils acceptent et croient aux cinq piliers de l’islam. Une fois à la tête de la Syrie, Hafez Al-Assad a déclaré l’islam comme religion d’État, et, appartenant à la minorité alaouite, a fait en sorte de protéger cette minorité, et de l’intégrer au système politique : dans son administration, au sein de l’armée, et dans les renseignements généraux. Ceci est motivé par une logique de revanche historique, Al-Assad diffuse un narratif de survie, clamant que sa minorité doit faire partie du système syrien, au risque d’un génocide. Son fils, Bachar Al-Assad a conservé cette stratégie, et l’intensifie en 2011 : les Alaouites sont mobilisés massivement dans l’armée régulière et les milices pro-régime. L’image de dictature alaouite est renforcée. Aujourd’hui, les Alaouites représentent 10 à 12 % de la population syrienne, un nombre minoritaire, mais toutefois plus important que la part des Chrétiens et Druzes dans le pays, explorés par la suite. De plus, les Chrétiens en Syrie ont un rôle historique, ils ont une présence très ancienne dans le pays, avec l’Église d’Antioche, mais ne représentent que 2 % de la population après 2011. Hafez Al-Assad, durant ses mandats, leur a donné quelques postes clés, mais minoritaires. Bachar Al-Assad a fait de même, et s’est présenté comme protecteur des minorités religieuses face aux groupes djihadistes radicaux, notamment à Daech. Il a donc réussi à polariser les Chrétiens de Syrie sur le conflit qu’il contrôlait, en jouant avec les figures chrétiennes. Enfin, les Druzes correspondent à environ 3% de la population. C’est une minorité religieuse qui émerge au XIe siècle, sous le règne du calife fatimide en Égypte. Les druzes se caractérisent par : la réincarnation spirituelle de Dieu dans des figures importantes ; la non-croyance en le paradis et l’enfer ; un sens caché au Coran ; un rejet des rites islamiques traditionnels ; pas de prosélytisme. Cette minorité a également fait l’objet de débats sur leur nature musulmane, ils ont longtemps été considérés comme hérétiques. Ils sont cependant perçus comme musulmans, notamment car leur héritage historique joue en leur faveur en Syrie, depuis la grande révolte dirigée par les Druzes contre la présence française en 1925. Cette minorité religieuse possède plusieurs instances en Syrie, ainsi qu’une autorité suprême religieuse. Sous Hafez Al-Assad, des accords d’autonomie administrative sont établis, acceptant la préservation de leur identité druze. En tout état de cause, depuis la chute du régime syrien, on observe un retour fort des identités religieuses. La déclaration constitutionnelle du 13 mars 2025 entend que l’islam doit être la source principale de législation. Les articles III et V assurent la protection de toutes les communautés présentes sur le sol syrien, en termes de statut personnel, de liberté de conscience et de liberté confessionnelle. Cet éclairage sur la société syrienne et ses minorités par Imad Khillo offre des clés de compréhension de la mosaïque du pays, et de leur rôle tant instrumentalisé par les anciens régimes dictatoriaux des Assad, que pris en compte par le nouveau régime d’Ahmad Al-Charaa. Il reste important de suivre l’évolution de la question des minorités sous ce nouveau régime : vont-elles être véritablement toutes respectées et représentées ?
Le paysage politico-religieux syrien post-Assad : dynamiques, fragmentation, réorganisation - Zakaria Taha
Comprendre le paysage politico-religieux de la Syrie post-Assad requiert une analyse sur le temps long, que Zakaria Taha propose d’effectuer dans son intervention. D’abord souligne-t-il que les rapports qu’entretiennent Hafez el-Assad, puis son fils vis-à-vis des composantes communautaires et religieuses syriennes, sont fortement modelés par leur appartenance à la minorité alaouite, indissociable du parti Baath qu’ils représentent. D’un côté, Assad-père, en tant que premier chef d’Etat ne faisant pas partie de la majorité sunnite, tend à dissimuler son appartenance communautaire en se réappropriant une symbolique religieuse sunnite. De l’autre côté, Z. Taha souligne la volonté de Bachar d’associer complètement la minorité alaouite au régime, en tant que moyen de protection en temps de crise. Mais les régimes successifs sont tous deux marqués par un rapport vertical vis-à-vis des communautés, faisant surplomber les Alaouites. La chute du régime d’Assad-fils voit cette dynamique totalement reconfigurée : dans un cadre où s’ouvre un espace de liberté quelque peu désorganisé, assiste-t-on à l’entrée en politique de certains hommes de religion et à l’émergence de nouveaux débats quant à la place du religieux en Syrie. Les Alaouites, accusés d’être associés à l’ancien pouvoir, semblent divisés dans leur rapport au nouveau régime qui appelle à une amnistie générale. Dans une déclaration du 9 décembre 2024, un ensemble de dignitaires alaouites affirment leur volonté de rompre tout lien – supposé ou réel – avec les Assad, et Muhyiddin al-Salloum, chef du Conseil islamique alaouite à Homs, adoptera plus tard une disposition rejetant le discours sectaire. En parallèle de cela, Z. Taha insiste sur une réorganisation du paysage religieux sunnite menée par le pouvoir. Dès le 28 mars 2025 est créé un Conseil supérieur de la fatwa, dont la composition semble particulièrement hétéroclite dès lors que seuls 4 de ses membres sont directement issus de HTS. Témoin de cette volonté de mise en avant du religieux en tant qu’interlocuteur, le Conseil réunit tant des soufis et des Druzes opposés à HTS que des partisans du régime actuel. Et Z. Taha souligne qu’au sein même des communautés émergent des divergences, avant étouffées par le régime baathiste, mais qui semblent ravivées par l’espace politique qui s’est ouvert depuis décembre. Ainsi cette intervention nous éclaire-t-elle quant aux nouvelles dynamiques et transformations qui parcourent les indissociables espaces politiques et confessionnels de la Syrie post-Assad. Ainsi, si le régime d’al-Charaa semble promouvoir le dialogue et donner une place à ses détracteurs, il paraît aujourd’hui difficile de prédire où il se dirigera sur le plan confessionnel.

Le territoire syrien comme enjeu de pouvoir ? que se passe-t-il aux frontières syro-libanaises et syro-israéliennes ? - Daniel Meier
Analyser les enjeux de pouvoir sur le territoire syrien sous le prisme des frontières : voilà ce à quoi Daniel Meier s’attelle au cours de son intervention. Ici, il envisage la frontière en tant que processus, qui revêt une dimension à la fois territoriale (bordering), politique (ordering) et identitaire (othering). Dans ce cadre, la connexion territoire, souveraineté et identité s’articule dans des temps variés, et avec des changements : les frontières nous préexistent et nous survivrons. Appliquée au cas syrien, la littérature des « border studies » permet de parler de processus de de-bordering et re-bordering en cours sur son territoire. Le lien historique que la Syrie entretient avec le Liban en témoigne : D. Meier évoque la période mandataire en ce qu’elle cristallise la tension entre nationalisme arabe et libanisme, qui s’exprimera plus tard sous des termes plus économiques, avec une Syrie à l’économie dirigée contre un Liban inséré dans un capitalisme débridé. L’intervention syrienne au Liban en 1976 pour reprendre contrôle sur une révolution rampante constitue les prémisses de la satellisation progressive du pays par la Syrie d’Assad, qui se verra consacrée en 1990 par les accords de Taëf. Malgré le retrait militaire forcé de Damas, le Liban revient sous son influence par le truchement d'un resserrement d'une alliance avec le Hezbollah, bras armé de l'Iran, le plus grand allié régional du régime baathiste syrien. La chute de l’imperium iranien sur le Liban à la suite de la guerre de 2024 menée par Israël enclenche la dynamique d’effondrement du régime baathiste. Depuis sa chute, les relations syro-libanaises ont subi des transformations, et la frontière entre les deux pays est pertinente pour les saisir, du fait de sa porosité et des échanges qui s’y s’opèrent. La découverte par le nouveau régime syrien de clans libanais ayant mis en place des réseaux de trafic a entraîné des réactions : l’armée d’al-Charaa a dirigé ses efforts sur les zones qualifiées de pro-Hezbollah, et l’armée libanaise est intervenue, faisant feu sur l'armée syrienne pour la première fois dans l’histoire des relations syro-libanaises. Ainsi assiste-t-on à ce que D. Meier qualifie de processus de re-bordering, au cours duquel la relation entre les deux pays serait moins asymétrique, et échapperait aux clans liés au Hezbollah qui dominait jusqu’alors. La frontière syro-israélienne est aussi révélatrice des reconfigurations de pouvoir en cours depuis la chute du régime d’Assad. Pendant 50 ans la Syrie a constitué pour Israël un voisin commode : l’Etat hébreu a pu annexer et coloniser le Golan sans que les rares tentatives de reconquête ne fonctionnent. Aujourd’hui, Israël fait preuve d’une violence débridée face au coup de force du HTS qui inquiète. Des troupes occupent une zone démilitarisée du Golan surplombant Damas. Ainsi disposent-elles d’un point d’ancrage stratégique et d’un moyen de pression, qui permet à l’armée israélienne de dire « qu’ils n’autorisaient pas le déploiement de l’armée syrienne au Sud de Damas ». Au sein même du territoire syrien Israël veut s’imposer, entreprenant une stratégie de copinage avec les Druzes pour satelliser cette communauté et prendre l’ascendant sur le régime syrien. La frontière en tant que processus, et abordée au travers des exemples syro-libanais et syro-israéliens, permet donc de saisir certaines dimensions des enjeux de pouvoir en cours depuis le renversement du régime des Assad – et avant encore. Les frontières nous préexistent et nous survivrons : les dimensions territoriales, souveraines et identitaires sont alors mouvantes dans la Syrie contemporaine, et continueront de l’être.
La Syrie entre trumpisme étasunien et tropisme européen - Jamil Sayah
Dans cette dernière intervention, Jamil Sayah aborde les enjeux de la Syrie post-Assad sous le prisme des politiques étrangères contradictoires de deux puissances mondiales : les Etats-Unis de Donald Trump et l’Union européenne. Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président étasunien, les Européens peinent à déterminer une position claire. J. Sayah établit le constat de leur défaite : sur le plan militaire d’abord, dès lors que les pays-membres sont divisés et ne disposent pas d’une armée. Sur le plan diplomatique ensuite, parce que l’Europe s’est vue exclure des processus de résolution des conflits mondiaux. Et sur le plan économique, et finalement axiologique – dans la mesure où l’Europe semble refuser d’admettre sa faiblesse et continue de défendre son narratif. Ainsi semble-t-il nécessaire de sortir d’une certaine forme d’eurocentrisme et reconsidérer la philosophie globale de l’UE. Autrement, il lui sera difficile de lutter contre l’approche hégélienne des Etats-Unis, qui envisagent la construction d’un nouvel ordre mondial dans la violence et la brutalité. Ce grand basculement introduit pour J. Sayah un nouveau paradigme, qui se retranscrit dans la « gestion internationale de l’actuelle question syrienne ». Pour la Syrie, D. Trump croit en effet en la violence et une décision rapide pour stabiliser la situation. La priorité réside dans la protection d’Israël, ce qui risque d’impacter la politique étasunienne vis-à-vis de la Syrie. Dans cette perspective, Trump compte sur le rôle de l’Arabie saoudite en tant que garant de la stabilité – et comme pays se rapprochant d’Israël. Le pragmatisme et la rationalité de D. Trump interroge sur les moyens d’action des Européens : que veulent-ils ? que peuvent-ils faire ? Face à leur apparente défaite, il s’agit pour eux de retrouver de l’espace au Moyen-Orient tout en s’assurant de la sécurité d’Israël. Dans ce cadre, la situation semble décalée par rapport aux attentes syriennes. D’autant que la France, de son côté, mène une politique diplomatique confuse, mêlant rapprochement avec le Liban et soutien à Israël, ce qui ajoute davantage de confusion dans la politique étrangère de l’Union. Ainsi J. Sayah établit-il le constat d’une défaite structurelle de l’UE, dépourvue d’armée et d’une claire visée diplomatique. Il semble donc qu’il ne lui sera pas aisé de peser dans les enjeux internationaux actuels, et d’afficher une politique claire quant à la Syrie post-Assad, face à une stratégie étasunienne débridée.

CONCLUSION
Cette demi-journée d’étude, conclue par Habiba Fayed et Omar Shaheen, s’est consacrée à la Syrie post-Assad a permis de croiser les approches pour mieux comprendre les profondes transformations à l’œuvre dans le pays depuis décembre 2024. Les différentes interventions ont mis en lumière l’ampleur du basculement géopolitique initié par la chute du régime, l’émergence de nouveaux rapports de force, ainsi que les enjeux internes majeurs auxquels le pays est désormais confronté.
Sur le plan international, les analyses ont montré comment l’affaiblissement des soutiens traditionnels du régime syrien, combiné à une fenêtre d’opportunité stratégique, a favorisé l’arrivée au pouvoir d’Hayat Tahrir al-Cham. La Turquie, en particulier, apparaît comme un acteur central de cette recomposition, déso mais en position de force face à une Syrie en pleine redéfinition territoriale et politique. Parallèlement, les frontières syro-libanaises et syro-israéliennes illustrent la manière dont les dynamiques de pouvoir se rejouent aux marges du pays, dans un contexte régional sous tension. Au niveau interne, les apports sur les minorités et les recompositions religieuses ont permis de mieux saisir les héritages du régime baathiste, marqué par l’instrumentalisation des identités et la centralisation autoritaire. La transition actuelle s’accompagne d’une réorganisation du champ religieux, d’un repositionnement des communautés, et d’un débat ouvert sur la place de l’islam et des autres confessions dans le nouveau régime. La question du pardon, évoquée en conclusion par les étudiants, interroge en profondeur la capacité du pays à surmonter ses fractures historiques.
Ainsi, cette demi-journée a non seulement enrichi notre compréhension de la Syrie contemporaine, mais elle a aussi ouvert des pistes de réflexion plus larges sur les enjeux de transition politique, de gestion de la diversité et de souveraineté à l’échelle régionale. Un moment d’échange particulièrement dense et formateur, à la hauteur de la complexité de la situation syrienne.
Photo de couverture : ©AFP