Kari De Pryck, maîtresse-assistante à l’Université de Genève.
Professeure invitée à Sciences Po Grenoble-UGA
Kari De Pryck est maître-assistante à l’Institut des sciences de l’environnement. Avant de rejoindre l’Université de Genève, elle a été affiliée à l'Université de Cambridge (2019-2021), l'Institute for Advanced Sustainability Studies (IASS) de Potsdam (2021) et l'Université Grenoble Alpes (2022). Elle travaille sur la gouvernance mondiale du climat et en particulier sur le rôle de l’expertise scientifique dans les négociations internationales.

* Ce billet de blog s’appuie sur les notes de l’auteure, présente à la COP29. Il s’inscrit dans un travail de rédaction d’un ouvrage consacré aux dix ans de l’Accord de Paris, coécrit avec Géraldine Pflieger, professeure à l’Université de Genève
La 29e Conférence des Parties (COP29) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui s’est tenue dans la capitale de l’Azerbaïdjan, à Bakou, en novembre 2024, a été marquée par de très fortes tensions internes et externes à l’événement. Elle permet de penser les négociations internationales sur le climat comme un « mésocosme ». Le mésocosme est un dispositif expérimental de moyenne dimension dans lequel les conditions naturelles de vie des espèces peuvent être reproduites et contrôlées selon divers paramètres physiques ou chimiques, notamment en océanographie, en écotoxicologie et en étude de la dynamique des écosystèmes. S’il peut permettre de simuler des conditions environnementales assez réalistes, il reste néanmoins une représentation simplifiée et imparfaite de la « nature », beaucoup plus complexe en réalité. Le mésocosme est aussi, en lui-même un écosystème et peut développer certaines propriétés qui lui sont propres.
L’allégorie du mésocosme offre une manière intéressante de penser la relation entre le « macro » et le « micro » des négociations internationales sur le climat. Les COP fonctionnent comme un mésocosme, un outil conçu pour simplifier l’élaboration d’une stratégie mondiale pour le climat en essayant de refléter la complexité des interactions entre États et acteurs transnationaux. Le mésocosme peut paraitre semblable à une bulle, à un monde miniaturisé, parfois caricatural, reflétant les multiples intérêts et croyances qui façonnent plus largement les relations entre sociétés et États. Les COP peuvent donc rarement échapper aux configurations (géophysiques et géopolitiques) « externes ». Cependant, elles font plus que refléter le monde qui les entourent. Par leur ancrage spatial et temporel, elles conduisent au fil du temps à (re)produire des règles et des pratiques singulières. Elles sont devenues un petit monde avec ses codes, ses thématiques, ses normes, ses temporalités, ses espaces, ses pratiques de décision.
Dans ce billet de blog, je propose de revenir sur le mésocosme de la COP29 et les tensions entre le « macro » — la géopolitique et la géophysique mondiales — et le « micro » des négociations internationales sur le climat.
Contexte géopolitique et géophysique
Plusieurs événements géopolitiques viennent se refléter dans la COP, dont la guerre en Ukraine, la réélection de Donald Trump et la compétition commerciale entre les grandes puissances. Tout d’abord, le choix du pays hôte, qui revenait aux États d'Europe orientale, s’est opéré dans un contexte de guerre en Ukraine, la Russie ayant refusé de soutenir une candidature issue des pays de l’Est membres de l’UE. La décision finale s’est faite entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux pays engagés dans un conflit frontalier autour du Haut-Karabakh. Cette dernière a éventuellement accepté de retirer son veto en échange de la libération de prisonniers arméniens (Chandrasekhar et al., 2024). Pendant la COP, le contexte géopolitique reste particulièrement tendu, marqué par l'enlisement des guerres en Ukraine et au Proche-Orient, la montée en puissance des idées populistes et d’extrême droite, ainsi que par le spectre de l’inflation qui s’installe dans de nombreux pays.
À ces événements s'ajoute la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche, une semaine avant la COP, ravivant les craintes d’un nouveau retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, voire de la CCNUCC. Dans l’enceinte de la COP, les participant-es oscillent entre le déni et l’espoir. Pour certain-es, rien ne peut stopper la transition climatique. John Podesta, conseiller principal du président des États-Unis pour la politique climatique internationale, déclare lors de la COP que la lutte contre les changements climatiques « dépasse de loin une élection, un cycle politique, dans un seul pays. » (carnet de terrain). Pour d'autres, la réélection d’un climatosceptique à la tête d’une des plus grandes puissances mondiales envoie un mauvais signal, alors que de nombreux pays font face à une montée de la défiance envers les politiques climatiques. Il semble ainsi que la décision du président argentin, Javier Milei, de sommer la délégation du pays de quitter la COP, quelques jours après son ouverture, ait été justifiée par sa volonté de se rapprocher du président élu.
Finalement, la compétition économique « acharnée » à laquelle se livrent les grandes puissances vient aussi perturber la conférence (Criqui, Damian et Rousset, 2024). Les négociations commencent avec un jour de retard, les États n’arrivant pas à se mettre d’accord sur l’agenda de la COP. Au cœur du débat est la demande du groupe BASIC, mené par la Chine, de mettre à l’agenda la question des mesures unilatérales restrictives sur le commerce adoptées sous prétexte d’objectifs climatiques—une demande déjà faite à la COP28. Cette demande vise les pays « développés » et en particulier l’UE, qui a introduit en 2023 un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) visant à taxer les produits importés en fonction de leur empreinte carbone.
À ce contexte géopolitique tendu se rajoute une année marquée par les impacts du réchauffement climatique. La COP29 s’ouvre avec la publication, par l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM), de son rapport sur l’état du climat en 2024, qui s’impose comme l'année la plus chaude de la dernière décennie, surpassant les années précédentes. À ce record s’ajoute une série d’événements extrêmes, souvent meurtriers, qui ont frappé aux quatre coins du monde, comme des inondations en Espagne, au Pakistan et au Népal, ainsi que des incendies au Canada.
L’agenda et les dynamiques internes de la COP
La COP29 suit également son propre agenda, avec pour enjeu central l’achèvement des négociations sur le financement climatique — un sujet qui cristallise de nombreuses tensions entre pays dits « développés » et pays « en développement » — une catégorisation certes obsolète, mais qui continue de structurer les délibérations au sein des COP. La COP29 doit être la « COP de la finance », la réunion qui doit permettre d’accoucher d’un nouvel objectif financier et remplacer l’objectif de 100 milliards de dollars défini en 2009. Les attentes des représentant-es des pays « en développement » sont très élevées. Les tensions sont palpables depuis quelques années, les pays « développés » restant évasifs sur le montant qu'ils sont prêts à engager. L’organisation de la COP se déroule également sous tension, dans un contexte où le pays hôte cherche à exercer un contrôle accru sur le déroulement de l’événement, en particulier sur la mobilisation de la société civile. La présidence de la COP, qui joue un rôle de chef d’orchestre des négociations, fait, elle aussi, l’objet de vives critiques.
L’organisation de la COP est très encadrée par les autorités azerbaïdjanaises. Elles sont soupçonnées d’avoir arrêté, en amont de l’événement, des dizaines d’activistes et de journalistes. La ville a été nettoyée de fond en comble, le trafic automobile a été réduit pour permettre aux navettes qui transportent les nombreux participant-es de circuler rapidement. La police patrouille la ville et contrôle l’accès au site. Les mobilisations de la société civile se font exclusivement dans la zone bleue. Faute d’avoir obtenu l’autorisation d’organiser la traditionnelle marche climat, la société civile décider de défiler en silence.
De nombreux scandales entachent également la présidence de la COP, et cela dès sa nomination en janvier 2024. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, désigne Mukhtar Babayev, ministre de l’Écologie et des Ressources naturelles, président de l’événement. Ce dernier a travaillé pendant plus de vingt ans pour la compagnie pétrolière State Oil Company of Azerbaijan. Aliyev, ne cache pas son enthousiasme pour les combustibles fossiles et déclare que le gaz et le pétrole sont un « cadeau de Dieu ». La crédibilité de la présidence également est mise à l’épreuve durant la conférence. Cette dernière souhaite reproduire le succès de la présidence émiratie, qui était parvenue à faire adopter le fonds sur les pertes et dommages dès l'ouverture de la COP28. Babayev et son équipe parviennent à faire adopter les règles des marchés du carbone, non sans susciter les critiques des ONG environnementales, qui dénoncent la faiblesse de ce nouveau cadre et l’absence de garanties environnementales claires. Le rôle de la présidence durant les négociations est fortement décrié. Ses propositions de décisions, en particulier sur la finance climatique, irritent, peinant à proposer des compromis. Elle est également accusée de permettre aux négociateurs de l’Arabie saoudite de modifier directement les ébauches de texte, ce qui n’est normalement pas accepté.
Des résultats décevants
La COP29 a délivré un nouvel objectif collectif quantifié. La décision fixe un nouvel objectif d’au moins 300 milliards de dollars de financements par an d’ici 2035 en faveur des pays « en développement ». S’il est attendu des pays « développés » qu’ils prennent l’initiative et assument la majeure responsabilité de ces efforts, les pays « en développement » sont appelés à y contribuer de manière volontaire.
Le processus par lequel la décision est prise est fortement décrié, notamment en raison d’un manque de transparence. Alors que les pays « en développement », et notamment l’Inde, le groupe arabe et le groupe Afrique, avaient évalué leurs besoins à au moins 1300 milliards de dollars, les pays « développés » n’avaient communiqué en amont de la COP aucune information sur la somme qu’ils étaient prêts à débourser. La proposition formulée la deuxième semaine, visant à mobiliser 250 milliards de dollars d’ici 2035, est rejetée. Cherchant à apaiser la colère des pays « en développement », les pays « développés » acceptent d’augmenter leur contribution de 50 milliards. Ils acceptent également d’ajouter le qualificatif « au moins » 300 milliards et d’évaluer les progrès en matière de finance climatique d’ici 2030 (Bittle, 2024).
Ces concessions de dernière minute ne convainquent pas tous les pays. Lors de la cérémonie de clôture de la COP, plusieurs pays, dont l’Inde, la Bolivie et le Niger, se sont opposés à l’adoption de la décision. Pour le porte-parole du groupe Afrique, le financement promis est « trop faible, trop tardif et trop ambigu. » (ENB, 2024). Pour la représentante indienne, cette décision, qui aurait dû témoigner d’une volonté commune de progresser, “ne reflète pas, ne transmet pas et n'inspire pas la confiance nécessaire pour croire que nous parviendrons à surmonter le grave défi du changement climatique.” Pour l’UE, au contraire, l’accord « exceptionnel », « ambitieux » et « réaliste » au vu du contexte géopolitique (notes de terrain).
De nombreux experts s’accordent à dire que la situation géopolitique actuelle, conjuguée au spectre de l’austérité dans de nombreux pays « développés » — principaux débiteurs du financement climatique —, a particulièrement pesé sur la COP29. Pour le sociologue Stefan Aykut (dans Garric, 2024), « la faiblesse du nouvel objectif de financement climatique est sans doute aussi liée au fait que les États-Unis n’y contribueront pas lors des quatre prochaines années ». L’inexpérience de la présidence azerbaïdjanaise est également pointée du doigt pour expliquer la faiblesse de la décision (Chandrasekhar et al., 2024). Babayev (2024) quant à lui rejette la faute sur les pays « développés ».
Dans ce contexte, tous les regards se tournent vers la COP30, appelée à insuffler un nouveau dynamisme à la coopération internationale sur le climat, qui sera organisée au Brésil à Belém en novembre 2025. La tâche incombe toutefois principalement aux États, qui doivent soumettre leurs nouveaux CDN au cours de l’année 2025. Il sera intéressant de reposer la question des conjonctures entre le « macro » et le « micro » des négociations, et d’observer si ces dernières parviennent à raviver l’espoir quant à la capacité de la CCNUCC à fixer un cap.
Babayev, M. (2024). I’m glad we got a deal at Cop29 – but western nations stood in the way of a much better one, The Guardian, https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/nov/25/cop-29-western-nations-global-south-brazil
Bittle, J. (2024). ‘We lost’: How COP29 ended with a deal that made the whole world unhappy. Grist. https://grist.org/international/cop29-agreement-baku-new-collective-quantified-goal/
Chandrasekhar, A., D. Dunne, O. Dwyer, S. Evans, J. Gabbatiss, M. Lempriere, W. Song, A. Tandon and G. Viglione (2024). COP29: Key outcomes agreed at the UN climate talks in Baku. Carbon Brief. https://www.carbonbrief.org/cop29-key-outcomes-agreed-at-the-un-climate-talks-in-baku/
Criqui, P., Damian, M., et Rousset, N. (2024). Le climat, c’est aussi de l’économie, avec une compétition acharnée entre la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/13/le-climat-c-est-aussi-de-l-economie-avec-une-competition-acharnee-entre-la-chine-les-etats-unis-et-l-union-europeenne_6390999_3232.html
ENB (2024). Summary of the 2024 Baku Climate Change Conference: 11-22 November 2024, IISD 12(865). https://enb.iisd.org/baku-un-climate-change-conference-cop29-summary
Garric, A. (2024). Les COP font partie des barrages contre la tempête populiste qui déferle sur la planète, Le Monde. https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/11/25/les-cop-font-partie-des-barrages-contre-la-tempete-populiste-qui-deferle-sur-la-planete_6412801_3244.html